7, 8, 9, sors vite de ton œuf
J’ai toujours détesté mon père… Il était froid, distant, parfois même violent…Je n’ai jamais osé lui tenir tête. Le seul souvenir de lui gentil que j’ai, c’est lorsqu’il a posé la main sur la tête en souriant, comme le geste protecteur et réconfortant d’un véritable père, lorsque j’avais onze ans. Il adorait bricoler, et il construisait une niche pour notre chien, je m’en souviens bien, c’était au début de l’automne, le jardin entier avait une odeur de feuille morte, j’adore cette odeur. Pourtant, ce souvenir est faux, comme le reste de notre relation…
Parce que nous n’avons jamais eu de chien.
« Grisel’ ! Réveille-toi! »
Griselda cligna des yeux, la lumière aveuglante du soleil transperça ses paupières. Elle poussa un gémissement d’indignation et releva sa couverture, faufilant son visage en dessous.
« Petite paresseuse, ta mère t’attend ! »
Elle se crispa, sa mère, encore, qui préparait sans doute une réception entre nobles et hauts-gradés militaires. Et elle, elle devait y participer, en bonne fille de noble qu’elle était…
« Dit-lui…Dit-lui que je suis malade…Ou que j’ai de la fièvre… »
« Grisel’, voyons ! »
La jeune fille entendit sa nounou adorée soupirer et ajouter d’un ton sévère mais pas trop :
« Elle ira vérifier, tu sais, je suis sure qu’un bon docteur peut sans problème assurer que tu va très bien, et que tu n’es qu’une ignoble petite paresseuse ! »
Griselda se redressa et soupira, résignée. Encore une journée gâchée. Sa nourrisse étouffa un rire en voyant la jeune fille avec une touffe de cheveux hirsute sur la tête, l’air mal réveillée et encore dans les nuages.
« J’ai pas envie, mais vraiment pas envie, Nounou… »
La vielle femme eu un sourire tendre, un sourire de mère puis elle lui caressa doucement la joue.
« Tu veux que je demande à Catherine de t’accompagner ? »
Les yeux de Griselda s’illuminèrent soudain, Catherine, ou Catty, sa sœur de lait, sa complice, sa meilleur amie, la fille de sa nourrice, la deuxième personne avec qui elle pouvait enfin être elle-même et pas jouer ce stupide rôle de sainte-ni-touche pour épater la galerie.
« Cette fois, tachez de ne pas renverser quoi que ce soit sur la tête de ce pauvre Schultz, d’accorde ? »Ajouta malicieusement la nourrice en faisant un clin d’œil à sa protégée.
Griselda pouffa de rire. En effet, ça avait été une journée mémorable, et cet abruti de juge avait eu la tête couverte de forêt-noir. Mais bon, cela pouvais compenser l’absence de cheveux sur son crane d’œuf. De plus, elle avait fait l’exploit de faire passer le crime pour un incident, plutôt judicieux. Quel fou-rire elles avaient eut toute les deux…
« Je tacherais d’essayer, Nounou, j’ai bien dit : je tacherais d’essayer ! Je ne garantis rien ! »Fit-elle d’un ton trop innocent.
L’ambiance aurait pus être parfaite si quelqu’un n’avait pas frapper à la porte.
« Ah, tes parents, sans doute »
Griselda hocha la tête, soudain plus sérieuse.
« Entrez ! » Cria-t-elle.
La porte s’ouvrit à la limite du brusque et son père entra à grands pas, toujours dans ce même uniforme détestable qui lui donnait l’air encore plus méprisable que d’habitude.
« Toujours dans ton lit ?! Bon sang Griselda, les invités arrivent dans une heure ! Vous, aidez-là à s’habiller ! Bon sang, et cette fois, j’ose espérer que tu te conduiras de manière respectable ! »
Sans lui laisser le temps de répondre, il claqua violemment la porte derrière lui. Griselda baissa les yeux.
« Bonjour à vous aussi, père… »
Elles restèrent silencieuse toutes deux un bon moment avant que l’une d’elle finisse par briser enfin ce trouble.
« Ma petite Grisel’, tu as entendu ton père, il faut se préparer, viens là que je t’aide à choisir une belle robe… »
Griselda se leva lentement, le regard sombre, laissant alors sa nourrice l’entrainer par le bras vers sa garde-robe…
« Nourrice ? »
« Oui ? »
« Pourquoi mon père me déteste-il ? »
« Ne dit pas de telles choses, voyons, c’est un homme sévère, mais tu es sa fille, ne l’oublie pas ! »
Griselda ne répondit rien, incertaine qu’un simple lien de parenté puisse changer quoi que ce soit à la distance et la froideur qui les séparaient à présent tout les deux.
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« Honnêtement, Griselda, je trouve ta robe ridicule ! »
La jeune femme frappa du pied au sol, mécontente de ce commentaire un peu trop honnête à son gout.
« Bon sang, Catty ! Elle est très bien ma robe ! »
Sa jeune amie explosa de rire, agitant ces petites bouclettes rousses, lui donnant un air absolument adorable.
« Si tu ne voulais que je te dise ce que je pense, il ne fallait pas me demandais comment je trouvais ta robe ! » Fit-elle malicieusement.
Griselda eu un sourire doux. Au fond, elle aimait bien toute la franchise de Catherine, elle la trouvait tellement attachante avec sa frimousse pleine de tache de rousseurs et ses yeux noisettes.
« Une dame convenable dirait à celle qu’elle sert ce qu’elle veut entendre, voyons ! Tu dois apprendre à devenir une soubrette modèle si tu veux travailler ici un jour ! »
Catherine haussa les épaules.
« Je n’ai jamais parlé de travailler ici, à ce que je sache ! »
« Tu me laisserais toute seule avec ces nobles à la conversation inintéressante ? »
Catherine soupira, elle descendit de la commode sur laquelle elle s’était assise et pris les mains de Griselda dans les siennes.
« Très bien, je vais te dire ce que tu veux entendre ! »
Elle prit une grande inspiration et regarda sa maitresse dans les yeux.
« Cette robe est très belle, Griselda ! »
« Un peu d’inventivité, Cath’, on voit très bien que tu te force ! »
« Cette robe est très belle mais… »
« Mais… »
Le visage de Catherine pris un teint étrange, elle détourna un instant le regard, mais sa franchise pris le dessus.
« Mais tu es bien plus belle qu’elle, c’est pour ça que je trouve qu’elle est laide, c’est parce qu’elle ne te vaut pas ! »
Il y eu un long moment de silence, qui sembla mettre Catherine dans un grand embarras. Puis Griselda éclata de rire.
« Tu es adorable, Catty, tout bonnement adorable ! »
La jeune fille rougit de plus belle.
« Catty ? »
Griselda sentit deux mais se poser sur ses joues et n’eut pas le temps de réagir que déjà les lèvres de Catherine se posèrent sur les siennes. A ce même moment, la porte s’ouvrait.
« Griselda, dépêche t… »
S’était sa mère…Pile au mauvais moment…
Catherine recula d’un bon et couru hors de la chambre, le visage rouge de honte, sans prendre en compte le fais qu’elle bouscula Madame au passage.
« Griselda…Que…Qu’est-ce que cela signifie ? »
« Une…Une simple erreur, mère… »
Baignant encore entre surprise, malaise et un sentiment étrange qui l’envahissait, Griselda avait du mal a saisir l’entièreté de la situation…
« Toi et moi avons une longue conversation à avoir, ma fille, mais voilà ton père, on va bien voir ce qu’il en pense… »
En effet, son père, intrigué par tant de mouvements, était venu voir ce qui se tramait, et Griselda sentait que ces heures là allaient être les plus sombres de sa vie…
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C’était le soir, à présent, cela allait faire deux jours que Catherine l’avait embrassée et elle n’avait pas pus éclaircir la situation avec elle, condamnée à rester dans cette sensation de malaise étrange. Elle était assise sur son lit, sa nourrice aussi n’était pas revenu depuis, elle avait un étrange pressentiment, et une envie de pleurer, comme si elle avait perdu quelque chose à tout jamais. Elle passa une main sur sa joue droite, là où son père l’avait giflé lorsqu’il avait appris…Les larmes lui vinrent aux yeux…
Pourquoi les choses s’étaient-elles passées ainsi ? Pourquoi avait-il fallu que sa mère entre à ce moment là ?
La porte s’ouvrit, son père entra, droit dans ses bottes, le visage de marbre, ses yeux perçants fixés sur elle.
« Ta nourrice, une juive… »Déclara-t-il d’un ton sec et dénué d’émotions.
Griselda sursauta mais resta muette.
« Faux papiers, fausse identité… »
Elle eut un violent soubresaut, elle se redressa, droite comme un I et fit face à son père pour la première fois de sa vie, elle cria, elle hurla même.
« TU MENT ! »
Son père eu un rictus de surprise mêlée à de la colère. Cependant, il garda son calme et continua, plus cruel cependant.
« Peut-être, ma fille, peut-être…Il est facile de trouver des origines juives à quelqu’un, surtout quand on est aussi gradé que moi… »
Elle leva les yeux vers lui, il avait perdu toute humanité, il paraissait soudain comme un monstre…Non, il l’avait toujours été, elle avait juste choisi de fermer les yeux.
« Tu…Tu as fait ça ? »
« Tu devrais me dire merci, je t’ai débarrassé de cette petite truie dégénérée qui t’avais souillée ! »Répliqua-il sèchement.
La tête de Griselda se mis à tourné, elle vacilla un instant…
« Pourquoi ? »
Si il y eu une réponse, elle ne l’entendit pas…
« POURQUOI TU ME DETESTE AUTANT ! »
Sa main effleura le coin de son bureau, son papier à lettre, ses plumes, son encrier…Elle sentit soudain quelque chose de froid sous ses doigts…
« POURQUOI ?! »Demanda-t-elle encore.
Puis elle se saisi de l’objet soudainement et frappa son père en pleine poitrine. Il n’eut pas le temps d’hurler.
Elle baissa les yeux, ses mains étaient rouges à présent…
L’objet qu’elle avait saisi, l’objet si froid sous ses doigts…
Un coupe-papier…
Son père tomba au sol…Il n’avait pas hurlé en mourant mais elle le fit pour lui, elle recula, tourna frénétiquement sa tête de gauche à droite puis s’enfuit à toute jambes de sa chambre, ses mains étaient toujours rouges…
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Griselda s’était roulé en boule contre le mur. Elle avait trouvé refuge dans le grenier, ce lieu froid, sombre, effrayant, où sa mère l’enfermait pour la punir lorsqu’elle était enfant. Ses yeux n’avaient pas quittés ses mains, toujours rouges.
Elle s’était souvent dit que son père était un homme méprisable, elle l’avait hait, mais maintenant qu’elle l’avait tué, elle ne valait pas mieux que lui…
Ce monde était impur et répugnant, elle pensait valoir mieux, beaucoup mieux que celui-ci…
Mais à présent qu’elle avait commis un parricide, elle n’en était plus aussi sure…
Le bruit s’était calmé en bas, après une grande agitation, le silence était subitement revenu…Sans doute la cherchaient-ils dehors à présent. Quoi qu’il en soit, elle restait perdue, ils ne tarderaient pas à penser au grenier.
Ce monde était souillé, c’est vrai…Mais à présent, elle l’était aussi, et ses mains étaient maintenant poisseuses, sa robe, la belle robe de princesse qu’elle portait, celle dont elle se vantait tant, la préférée de Catherine…
Elle était maintenant tellement laide, avec ses taches immondes sur ses manches…
Griselda se trouvait soudain méprisable, inhumaine, et se considérait soudain comme elle avait considéré son père pendant tant d’années…
Ah…C’était donc ça, tuer un homme…
Elle se rendit compte que le seul véritable regret qu’elle avait au fond d’elle était d’avoir perdu son innocence. Elle avait beau essayer de toutes ses forces, elle n’éprouvait aucuns regrets pour son père.
Une sensation de nausée l’envahie à cette pensée.
Chaque pensée qu’elle avait était insupportable.
Elle tourna la tête vers la fenêtre, mi-ouverte, et elle su ce qu’elle avait à faire…
Elle enjamba le seuil de cette dernière, et se retrouva face au vide, sa robe flottait au vent…
Elle resta un bon moment à regarder le sol qui paraissait si distant…Elle s’était dit qu’elle devait sauter, pour faire taire ses pensées…
Mais à nouveau, elle n’était plus sure de rien…
Puis elle entendit la trappe du grenier grincer derrière elle.
« GRISELDA ! »
C’était la voix de sa mère.
Elle prit une grande respiration et bondit en avant, ce fut la chute, la sensation grisante de vide et de la mort imminente. La peur. Le choc. La douleur. Puis plus rien.
« Bonjour petite couleur perdue… Astrid est là, Astrid est venue te sauver, n’aie plus peur… Astrid est seule aussi, veux-tu jouer avec Astrid ? »
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